Le télétravail chez Orange, une expérience riche de plus de 10 ans

Rencontre avec Martine Bordonné, Directrice Télétravail & Nomadisme d’Orange, qui partage avec nous plus de 10 ans d’expérience du télétravail.

Martine Bordonné - Directrice Télétravail et Nomadisme - Orange

Le télétravail, une démarche lancée il y a plus de de 10 ans chez Orange et qui s’enrichit au fur et à mesure

 

Orange a ouvert très tôt le télétravail avec un premier accord dès 2009. Bien que limité car lié aux outils de nomadisme et de mobilité tels que les téléphones, ordinateurs portables et connexion de l’époque, ce premier accord était pourtant dès le départ très complet, solide, et innovant.

 

D’une durée de 3 ans, tous les métiers étaient potentiellement éligibles au télétravail avec quelques conditions : 
•    L’activité devait être télé-travaillable et la personne autonome dans son activité
•    Avec a minima 2 jours par semaine en présentiel sur leur site principal d’activité donc potentiellement 3 jours de télétravail 


Un rythme régulier avec des jours fixes. Et déjà une certaine flexibilité :
•    Pas de critère lié à la distance du domicile par rapport au lieu de travail 
•    Possibilité de pouvoir télétravailler depuis un autre site de l’entreprise 

 

Le télétravail et sa mise en place l’ont toujours été au regard de la réalité opérationnelle de l’équipe managériale la plus proche du terrain. Les résultats attendus doivent être les mêmes que l’on soit en présentiel ou en distanciel.

 

En 2013, une vaste étude a été réalisée auprès des télétravailleurs pour tirer les enseignements avant de négocier un nouvel accord. Un des principaux constats était que le rythme à la semaine, avec des jours bien définis, n’était pas adapté pour certains métiers : leur activité nécessitant des périodes de présence à temps plein, d’autres beaucoup moins. Orange a alors adapté son accord en incluant un volume mensuel de 12 jours de télétravail avec 2 jours minimum de présence par semaine, présence hebdomadaire maintenue afin de cultiver le relationnel, le collectif.

 

Avec à l’époque déjà près de 3 000 personnes en télétravail, de nombreuses questions récurrentes portant sur la mise en place au sein des équipes sont apparues. Il est rapidement devenu nécessaire d’accompagner le télétravail avec la création d’un référent télétravail

 

Cette structure d’accompagnement et de partage d’expérience, a pour mission d’acculturer au télétravail à travers la mise en place d’outils pédagogiques et techniques accessibles à tous avec une démarche partant systématiquement du terrain, des besoins, de ce qui est utile pour eux.

 

L’organisation d’une grande journée de débats et d’échanges autour du télétravail a fortement mobilisé l’ensemble des collaborateurs sur les différents sites en France et Outre-Mer. Les DRH en région ont été sollicitées pour organiser à leur niveau cette journée de partage et ce fut un franc succès avec 36 sites ayant accepté d’être en interaction depuis leur lieu de travail avec des sessions locales partagées au niveau national.

 

Depuis, Orange a créé des équipes de référents RH sur tout le territoire pour créer une boucle d’amélioration : faire remonter les besoins, ce qui fonctionne, les sujets sur lesquels il faut aider la filière RH ou le manager… 

 

 

La crise sanitaire a profondément changé la perception et l’adoption du télétravail

 

Il y a un « avant » et un « après » Covid : si avant 2020, le télétravail était un choix souhaité et réfléchi, avec le confinement, des collaborateurs qui n’y avaient jamais aspiré, l’ont découvert.

 

Aujourd’hui, il y a trois types de télétravailleurs chez Orange :  
•    Les Expérimentés qui pratiquaient déjà le télétravail de manière régulière avec un rythme de 8 jours par mois en moyenne
•    Les Occasionnels, télétravailleurs ponctuels avec une moyenne de 8 jours par an, sans modification de leur contrat de travail
•    Les Primo-accédants qui ont découvert le télétravail lors de la crise sanitaire.

 

Suite à la crise Covid, si les Expérimentés et les Occasionnels ont selon les cas augmenté ou diminué leur volume de télétravail, les Primo-accédants l’ont découvert de manière forcée, ils ont pu tester et pour certains l’adopter. 

 

En 2022, Orange compte 36 000 télétravailleurs réguliers, et 40 000 en incluant les occasionnels.

 

« Nous avons tous été égaux devant le Covid et cela a généré énormément de choses très positives : bien sûr il y a eu des choses très dures telles que la maladie, l’isolement … mais cela a été une fabuleuse période que l’on va observer sur la durée » souligne Martine Bordonné.

 

Orange a beaucoup accompagné ses collaborateurs pendant cette période en particulier les Primo-accédants et les managers qui découvraient le management à distance, l’organisation de l’accueil de nouveaux collaborateurs ou alternants…

 

Les managers sont ceux qui ont le plus changé pendant la crise sanitaire en particulier vis-à-vis de la perception du télétravail. Certains ont été très réticents mais le fait de vivre le télétravail en tant que salarié a fait sauter des freins ou des a priori tels que « le télétravail des lundi et vendredi équivaut à prolonger le week-end » ou « le mercredi permet de garder les enfants ».

 

 

Le télétravail est devenu collectif avec un impact sur le fonctionnement de l’entreprise

 

Orange est une entreprise où le collectif est fondamental : travailler ensemble, faire des choses ensemble, générer des moments collectifs est primordial. Le présentiel génère de la créativité que ne permet pas le distanciel ou différemment.

 

Tout l’accord télétravail d’Orange repose sur de la souplesse pour que chaque unité opérationnelle sur le terrain puisse trouver le bon équilibre, celui qui lui convient au regard de l’activité. Avec la vitesse de transformation que rencontre l’entreprise, il faut être capable de s'adapter en permanence, ce que permet cette réflexion collective et individuelle.

 

L’organisation du télétravail et tout particulièrement le choix du rythme et des jours de présence se fait au niveau de chaque équipe. C’est une réflexion collective de l’équipe, animée par le manager pour analyser l’activité, le volume de jours potentiels possible par rapport aux objectifs de travail à délivrer, les jours de présence et pourquoi faire. Ces principes génériques liés à l’activité (jours fixes, jours flottants…) donnent le socle qui permet au collectif de fonctionner de manière satisfaisante. 

 

Cette démarche collective, qui permet à chacun de s’exprimer, génère en général une adhésion, contrairement à une imposition par le haut qui crée souvent de la frustration. 

 

Nous sommes en 2022 plutôt dans du télétravail collectif, alors qu'en 2009, cela a été une démarche individuelle sans réelle incidence. Aujourd'hui, il peut avoir des équipes avec 50, 60 voire 100% de télétravailleurs ce qui change globalement le mode de fonctionnement de l'entreprise, de l'équipe.  

 

 

Les outils pédagogiques, facteur clé de succès de la mise en œuvre du travail hybride

 

Afin de permettre aux managers de bien connaitre les contenus de l’accord télétravail, de répondre aux questions lors de réunion d’équipe, de générer le questionnement et le débat, des outils pédagogiques avec une logique de simplicité sous forme de 50 questions ont été déployés dès la mise en place du télétravail.

 

Ils intègrent de nombreux parcours de formation sur le travail à distance, les routines de travail, l’animation d’une équipe de travail, la communication à distance … ainsi qu’un réseau social interne : il y a en ce moment plus de 400 documents, des outils pédagogiques, des gens qui s’expriment, des sondages…

 

Ces outils sont essentiels car d’une organisation à l’autre la mise en place du télétravail peut être différente : il faut que ce soit en lien avec l’activité, les attendus, l’histoire et les personnalités de l’équipe, afin que chacun puisse trouver un équilibre.

 

Le réseau social interne a beaucoup servi lors de la crise sanitaire. C’est un canal qui fait remonter ce qui fonctionne, les points de difficulté, qui permet à l’organisation sur le terrain de comprendre, de trouver des réponses et d’avoir une compréhension très claire des marges de manœuvre possibles à partir de cet accord.

 

Si le télétravail régulier est bien identifié, il n’y avait pas jusqu’en 2017 de mesure de la réalité du télétravail occasionnel :  un simple mail au manager suffisait lors d’une grève, d’un pic de pollution ou dans l’attente d’un livreur au domicile pour demander une journée de télétravail. La mise en place d’outils type « push mail pollution » pour inciter à se déplacer autrement (covoiturage, vélo…) les jours d’alerte à la pollution, ont été l’occasion de déployer des outils de demande de travail occasionnel et ainsi de mieux les monitorer.

 

 

Le travail hybride doit être organisé et cela passe beaucoup par les managers

 

Le travail hybride devenant la norme, il est nécessaire de mettre en place une organisation qui s’adapte, qui soit souple, qui bouge. C’est une vraie réflexion dans le temps. La difficulté de l’hybride c’est que tout le monde n’est pas là au même moment avec une mixité de collaborateurs présents et distants, ce qui soulève de nouveaux sujets en particulier le lieu de télétravail, le mode de communication…

 

Tout en ayant constamment en tête l’importance du collectif de travail, les équipes Orange accompagnent le travail hybride à plusieurs niveaux : 
-    Au niveau local, les groupes de travail permettent d’échanger, d’avoir des regards croisés en fonction d'une pratique à l'autre, de faire remonter des besoins
-    La co-construction de dispositifs entre le national et le local que le local peut ensuite s’approprier. 

 

Une équipe « culture managériale » développe des outils pédagogiques avec des animations, des newsletters, des webinars, de la formation, des trucs et astuces… On y trouve des fiches repères, véritable fil conducteur pour s'interroger et proposer sa propre organisation avant d'aller voir son manager pour demander du télétravail, mais aussi une trame pour le manager pour animer son équipe, réfléchir à son organisation.

 

En 2015, un serious game a été construit pour sensibiliser au télétravail : comment se mettre en visibilité quand on est à distance (il faut rappeler qu’à l'époque il n’y avait pas ni  webcams ni outils collaboratifs), comment organiser une journée de travail, quels sont potentiellement les risques psychosociaux, comment  être responsable de ses outils, comment créer des routines par rapport à mon environnement familial, en particulier comment faire en sorte d’avoir des moments sans être dérangé par les enfants. 

 

Il y a bien sûr tout un accompagnement du manager qui est en miroir, pour qu'il puisse voir quels sont les droits et les devoirs : comment gérer un salarié qui ne répond jamais quand il est à domicile...  

 

Une grande étude a été conduite en juillet 2021 auprès des 62 000 collaborateurs sur l’avant, pendant et après la crise. Des salariés se sont révélés, d’autres ont disparu car peu à l'aise avec les outils, et ce, à tous les niveaux, faisant émerger des compétences différentes dans les équipes, créant ainsi de nouveaux équilibres. 

 

Le manager a un rôle clé pour mettre en en visibilité la singularité dans un collectif qui doit être harmonieux. Il doit revoir ses méthodes pour être accessible : par exemple remplacer la porte du bureau ouverte par une après-midi sans rendez-vous et rester disponible pour chacun. Il doit aussi communiquer, de manière claire pour être bien compris, sur les changements, comment l’organisation s’adapte. 

 

 

Le sujet du télétravail n’est pas qu’un sujet RH 

 

Depuis que Martine Bordonné porte le sujet du télétravail, elle travaille en multidisciplinarité : avec l'informatique qui a besoin de connaître le volume de télétravailleurs pour adapter le parc et la capacité de connexion (en décembre 2019 lors des grèves de transport qui ont duré 3 semaines il y plus de 24 000 salariés en télétravail soit le plafond de capacité de connexions simultanées fixé à l’époque. Celle-ci a été passée à 60 000 en janvier 2020 ce qui a permis d'avoir les connexions garanties pour tous les salariés et pour les clients lors du confinement de mars 2020 : les équipes de médecins, les assistants sociaux, avec la RSE et la possibilité de faire le lien entre télétravail et CO2 économisé par les kilomètres.

 

L’immobilier est aussi au cœur du dispositif avec des nouveaux locaux à Issy les Moulineaux conçus en espaces dynamiques, intégrant les différents temps de travail, permettant de disposer des espaces en cohérence avec l'activité exercée à un moment donné : espaces de partage, espaces bureau pour un travail à deux, espaces silence pour se concentrer, … sans compter l’impact sur l’immobilier des rythmes de présence au bureau liés au travail hybride. Orange met en place le « corpoworking » pour permettre à tout salarié de venir sur le site lors déplacements professionnels.

 

Le travail hybride c'est un environnement 360, tout le monde est impacté : le management, la culture managériale, l'organisation du travail, ce n’est définitivement pas qu’un sujet RH.

 

 

Le télétravail, un véritable levier de questionnement du travail

 

Le télétravail est un sujet qui parle à tout le monde : tout le monde donne son avis, souhaite s’exprimer, tout le monde a des choses à dire. Orange a constaté des taux de réponses extraordinaires à leurs sondages en interne, permettant d’avoir ainsi un formidable thermomètre du travail, ce qui permet aux équipes RH une meilleure compréhension des modes de fonctionnement, d’identifier les problèmes…

 

Le télétravail est une occasion fabuleuse de réengager l’échange, la discussion, le questionnement. Le fait de renvoyer à un autre lieu, en l’occurrence le domicile, réinterroge les basiques de l’organisation du travail et du management, renvoie à comment je travaille, quel est mon métier, comment je m’organise, comment est-ce qu’on travaille collectivement. Cela permet de nourrir des plans d’action pour accompagner l’organisation en distanciel mais aussi en présentiel. 

 

 

Le télétravail générateur de mobilité géographique ?

 

En 2017, Orange avait ouvert le télétravail à la résidence secondaire ainsi qu’aux frontaliers hors suisse pour 1 jour. Orange ne développe pas le télétravail à l’international, car trop complexe et il existe des contraintes en matière de réglementation, d’autant qu’il existe d’autres façons dans le groupe de pouvoir aller à l’international.

 

Avec le Covid, de nouveaux sujets émergent : pendant la crise sanitaire, les gens se sont installés un peu partout : certains salariés ont déménagé, pour d’autres la résidence secondaire est devenue la résidence principale, parfois à 800km avec nécessité de respecter les contraintes de revenir 2j/semaine, les étudiants sont rentrés chez eux…

 

La difficulté est de les faire revenir : on ne veut plus de contrainte, on veut pouvoir travailler d’un peu partout. Les RH doivent accompagner sur ce qui est possible : on peut potentiellement travailler depuis un autre lieu mais pas depuis n’importe où ; par exemple un café n’est pas acceptable car en matière de prévention, on n’est pas dans des conditions de travail et c’est la responsabilité de l’entreprise de vérifier que les lieux de télétravail sont respectueux des conditions (qualité, sécurité, confidentialité conformément aux conditions stipulées dans le contrat de travail…)

 

Coté contractuel, avant le Covid, il était déjà possible des travailler depuis le domicile, la résidence secondaire ou un site Orange. En 2021, un avenant a donné la possibilité d’aller sur deux des 200 sites du groupe qui accueillent des télétravailleurs. 

 

La durée d'analyse est pour le moment trop courte pour mesurer l’impact sur les comportements, les lieux de vie et de travail. Par exemple, il y a actuellement près de 10% de télétravail sur site Orange : est-ce que cela va baisser au profit du télétravail à domicile auquel tout le monde a goûté ? 

 

Il y a une ouverture du champ des possibles : on se permet plus de choses, avant on était sur un système assez binaire : le travail vs le domicile … Aujourd'hui, il y a une évolution de la société, il y a des questionnements par rapport à la mobilité ou la « démobilité », qui fait que les alternatives sont plus nombreuses, que, sans doute il y a 20 ans. On est aussi poussé par l'évolution sociétale, par les jeunes qui ont des approches un peu différentes. C'est aussi intéressant de savoir comment l'entreprise répond à ces nouvelles problématiques.

 

 

Pourquoi le Label WIWO Work In Work Out

 

Orange avait fait énormément de choses en matière de télétravail, ce qui a permis de basculer assez facilement lors de la crise du Covid, mais je pense qu'il ne faut pas être statique, il y a un risque majeur de se dire OK on l'a fait. Il faut effectivement avoir cette dynamique permanente et c'est pour ça qu'à un moment donné j'ai voulu participer à ce label parce que c'était aussi une fameuse opportunité d'avoir un regard externe sur la pratique. On a construit beaucoup de choses. Le label Incitu permet de faire une pause, de faire une photo, d’avoir un regard externe d’auditeurs expérimentés, ce qui permet de continuer à progresser. 

 

C'est aussi notre devoir de partager notre savoir-faire, notre expertise. En même temps, je vais beaucoup en externe m’enrichir de nouvelles pratiques mises en place par des entreprises qui démarrent ou qui ont des approches plus rapides et peut-être différentes par rapport à des entreprises qui gèrent le sujet depuis 10 ans.

 

Je n'ai pas d'équipe avec moi, je construis tout plutôt en méthode agile avec les équipes dans les territoires : on pitche un projet, je vais chercher le budget et je construis l’équipe autour avec systématiquement un test en local avant, de le généraliser. C'est sans doute la meilleure façon de s'assurer que ce qu'on fait soit utile au terrain, de ne pas perdre d'énergie sur des choses avec lesquelles on peut se faire plaisir mais qui finalement sur le terrain ne paraît pas nécessaire. 

 

 

Entretien réalisé en février 2022 par WeekAway, spécialiste de la mobilité récurrente
WeekAway accompagne les actifs qui vivent dans une ville et travaillent dans une autre en leur proposant un logement récurrent en semaine à proximité de leur bureau.
www.weekaway.fr

 


Photo - Martine Bordonné - Directrice Télétravail et Nomadisme - Orange